ARTICLE 5 / Un Mosellan démobilisé puis expulsé 1940
Après six semaines de combats sur le sol national, la débâcle des armées et le terrible spectacle de l'exode des civils, la France exsangue signe l'armistice le 22 Juin 1940. Il annonce la fin des engagements pour son armée de terre, de l'air et de mer; une marine forte et pratiquement intacte.
C'est justement parce que la marine nationale est encore puissante qu'elle sera, en cet été 1940, au centre des préoccupations, suscitant convoitises et méfiances.
Quelques jours après le cesser le feu, le 25 Juin, Roger se trouve à Alger engagé dans la Force de Raid à bord du Montcalm. Le moral a ce moment doit être au plus bas, voir anéanti.
Fatigué, harassé et avec un bras dans le plâtre, Roger apprend que désormais il est pris entre deux feux. La marine française, soumise à d'intenses pressions, devra faire face aux menaces d'un ex-allié tout en se méfiant des convoitises d'un ex-ennemi. Et depuis l'appel du 18 Juin, elle devra également combattre un nouvel adversaire; la France Libre.
L'Angleterre continue la lutte, seule désormais et la marine française peut selon son attitude devenir un renfort de poids pour la cause alliée ou un ennemi de plus pour la Royal Navy.
C'est pourquoi, la Grande Bretagne suit avec anxiété le comportement de la flotte française car la situation est critique. Elle n'a plus d'armée car ses troupes ont abandonné presque tout le matériel sur le continent, et dispose d'une aviation purement défensive.
Dans ces conditions, Churchill ne peut prendre le risque de voir la marine nationale tomber aux mains des allemands. Darlan tenta d'apaiser la crainte des britanniques en leur donnant, à plusieurs reprises, l'assurance solennelle que jamais la flotte française ne sera livrée aux allemands. Mais cette assurance ne convainquit pas le Cabinet anglais. ( A tort, car la flotte se sabordera lorsque l'Allemagne occupera la zone libre en 1942)
Devant l'importance de l'enjeu et la gravité des événements, le premier ministre anglais décide de saisir ou détruire la flotte française si ses marins s'obstinent à refuser les propositions britanniques.
Les cibles de l'opération baptisé Catapult se trouvent en différents lieux et sont d'importance variable.
La première phase du plan consiste en la saisie des navires français présents dans les ports britanniques.
Mais les objectifs majeurs ne sont pas en Angleterre mais en Méditerranée, dans la rade de Mers el-Kébir près d'Oran où stationne la puissante Force de Raid.
Par contre, les six croiseurs de 7 600 tonnes dont le Montcalm ainsi que quatre contre-torpilleurs mouillent à Alger à environ 400 kilomètres de Mers el-Kébir.
L'opération Catapult.
Le 3 juillet 1940,
En Angleterre, près de 200 navires de guerre et de commerce sont saisis et les équipages internés dans les camps de la région de Liverpool.
Les deux vieux cuirassés écoles où Roger fit ses classes Le Courbet et Le Paris sont saisis.
En revanche, à Mers el-Kébir, l'affrontement ne peut être évité. A l'aube, l'amiral Somerville se présente avec la Force H plus puissant que l'escadre française et qui bénéficie de l'effet de surprise. Complétement pris au dépourvu, l'amiral Gensoul, le commandant de la Force Raid rejette l'ultimatum de Somerville.
L'escadre anglaise ouvre finalement le feu à 16h 55 sur les navires français stationnés dans la rade et incapables de se défendre convenablement : les cuirassés et croiseurs de bataille sont en effet mouillés perpendiculairement à la jetée par arrière, et ne peuvent donc ni manoeuvrer ensemble ni utiliser leur artillerie principalement placée à l'avant.
La canonnade est brève mais le bilan est dramatiquement lourd.
Le Strasbourg et cinq contre-torpilleurs réussissent cependant à s'extirper de la rade.
L'opération Catapult est terminée, elle a coûté la vie à près de 1 300 marins français.
Le Montcalm et ses sisterships ont appareillé à 16 heures, mais avec le début de la bataille, les premiers rapports annonçant le drame et la fuite du Strasbourg, leur ordre a changé. Ils ne doivent plus se rendre à Oran, car cette partie est déjà perdue, mais se poster au large de Minorque aux Baléares pour protéger le Strasbourg en route et repousser une éventuelle offensive générale britannique.
Le lendemain à l'aube, le groupe Montcalm est rejoint par la 3e escadre venue de Toulon, et comme la possibilité d'une grande offensive est désormais écartée, les deux escadres rallient le port varois en début d'après-midi.
En France et dans le monde, c'est la stupeur.
Révolté, trahi par ses anciens alliés, Roger arrive à Toulon le 04 Juillet 1940.
Certainement suite à sa blessure, à la mi-juillet, il est débarqué du Montcalm pour être affecté à la D.C.A. du port de Toulon.
Dans le cadre de l'armée de Vichy, Le Montcalm se joint la force Y mise en place pour rétablir l'ordre vichyste en Afrique équatoriale. Il participe à la bataille de Dakar contre les forces britanniques et les forces navales françaises libres. Après le débarquement allié en Afrique du Nord et la fusion entre les Forces françaises libres et de l'armée d'Afrique, Le Montcalm part aux États-Unis pour un grand carénage et une modernisation de son équipement. Revenu en Méditerranée en août 1943, il participe à la libération de la Corse. Il part ensuite en Angleterre et en juin 1944 soutient le débarquement de Normandie avant de repartir en Méditerranée pour participer au débarquement de Provence. Il soutient la libération de Toulon. Entre fin 1944 et la fin de la guerre en Europe, il reste en Méditerranée, intervenant en appui feu sur les côtes nord de l'Italie.
En 1959, il arrête sa navigation et sert comme navire école jusqu'en 1969, année où il est envoyé à la casse.
Roger découvre en cet été 1940 que la France qu'il a connue n'existe plus.
La convention d'armistice signée le 22 juin 1940, à la clairière de Rethondes, en forêt de Compiègne, entre le représentant du Troisième Reich allemand, le maréchal Keitel, et celui du gouvernement français du maréchal Pétain, le général Huntziger, stipule en son article :
« En vue de sauvegarder les intérêts du Reich allemand, le territoire français, situé au nord et à l'ouest de la ligne tracée sur la carte ci-annexée, sera occupé par les troupes allemandes. [...] »
La ligne de séparation du territoire français en deux zones est définie par un tracé figurant sur une carte annexée :
« [...] commence, à l'est, à la frontière franco-suisse, près de Genève, et est jalonnée ensuite par les localités de Dole, Paray-le-Monial et Bourges, jusqu'à environ vingt kilomètres à l'est de Tours. De là, elle passe à une distance de vingt kilomètres à l'est de la ligne de chemin de fer Tours-Angoulême-Libourne, ainsi que, plus loin, par Mont-de-Marsan et Orthez, jusqu'à la frontière espagnole. »
Cette ligne prendra par la suite le nom de ligne de démarcation.
L'ensemble du territoire et l'Empire sont sous l'autorité du régime de Vichy dirigé par le maréchal Pétain. La souveraineté française s'exerce sur l'ensemble du territoire, la convention d'armistice, en son article 31, stipule que l'Allemagne exerce les droits de la puissance occupante :
« Dans les régions occupées de la France, le Reich allemand exerce tous les droits de la puissance occupante. Le Gouvernement français s'engage à faciliter par tous les moyens les réglementations relatives à l'exercice de ces droits et à la mise en exécution avec le concours de l'Administration française. Le Gouvernement français invitera immédiatement toutes les autorités et tous les services administratifs français du territoire occupé à se conformer aux réglementations des autorités militaires allemandes et à collaborer avec ces dernières d'une manière correcte. »
Pour Roger c'est le choc, que faire maintenant..? Il fait parti pour l'instant de l'armée d'armistice sous les ordres de l'Etat Français.
Les options s'offrant à lui:
Continuer le combat dans la Marine pour protéger l'Empire contre ses anciens alliés et les Français Libres.
Rentrer chez lui à Hayange en Moselle, rejoindre sa femme Lucie qu'il connait à peine et devenir un sujet du III Reich avec la certitude d'être enrôlé dans l'armée allemande.
Rejoindre la France Libre qui se bat toujours...
De toute façon, tant que sa blessure ne sera pas rétablie, il restera affecté à l'arsenal de Toulon.
Mais à partir de fin juillet 1940, Roger apprend que la région Alsace-Moselle est annexée par le Troisième Reich en violation de la convention d'armistice et malgré les protestations du gouvernement de Vichy.
Le 29 Juillet, le service de santé estime qu'il est trop tôt pour supprimer son immobilisation.
Ce n'est qu'un mois plus tard, le 25 Août, qu'on effectuera l'ablation de son plâtre.
Quelque jours plus tard, le 10 Septembre 1940, Roger est démobilisé et doit rejoindre ses foyers.
Roger va donc rentrer chez lui, il mettra 20 jours en ce mois de septembre 1940 pour rejoindre sa famille et sa jeune femme.
En arrivant en Moselle à Hayange ou plus exactement à Hayingen, Roger se trouve en territoire annexé ou la germanisation-éclair a déjà fait son oeuvre.
Tous les noms de villes et villages sont germanisés et tout ce qui rappelle la France a pratiquement disparu.
Le 10 Septembre, une ordonnance impose l'allemand comme langue judiciaire et un mois plus tard, le droit allemand entre en vigueur.
De plus, les expulsions ont déjà eu lieu. La première étape consista en « l’élimination » des habitants inassimilables au regard des théories racistes, eugéniques et nationalistes du régime nazi. L’opération commença le 17 juillet 1940, un mois exactement après que le drapeau à croix gammée ait été hissé au balcon de la mairie de Metz.
Roger est né allemand en 1913 mais il est inconcevable pour lui de devenir sujet du Reich. Il refusera de porter allégeance et sera expulsé en zone libre début Novembre.
Tout comme les 60 000 Mosellans francophiles ou francophones, jugés « indésirables », sont expulsés vers la France, du 11 au 21 novembre 1940.
Les expulsés ont leurs biens et propriétés confisqués et placés sous séquestre. Il leur faut partir sur-le-champ et ils ne peuvent emporter que du ravitaillement pour un jour, un couvert, une couverture, un vêtement neuf, 50 kg de bagages personnels pour les adultes et 2 000 francs en argent français par personne.
Carte d'expulsion ayant bien vécu !!